Le concept scientifique d’éther chez les occultistes du 20ème siècle
Dans la littérature des occultistes du 20ème siècle, nous pouvons remarquer deux tendances générales sur leur théorie explicative des phénomènes occultes. Celle qui fait référence à des théories scientifiques et celle qui revendique le droit au fantastique ou au surnaturel. Quoique souvent entremêlés, il est aisé de relever leur différence dans leurs œuvres écrites. Penchons-nous sur une affirmation commune à deux occultistes ayant une renommée sérieuse parmi leurs pairs. Nous ciblons Paul-Clément Jagot (1889-1962) et Franz Bardon (1909-1958) qui se réfèrent à la même théorie scientifique sur l’éther physique.
Chez P.-C. Jagot, il précise qu’il existe un agent universel immergeant l’univers et les individus. Il est le médiateur transmettant de multiples influences invisibles, permettant entre autres la télépathie ou diverses forces psychiques aux caractères occultes. Il ajoute que cet agent est dénommé éther par les physiciens. Il véhiculerait les ondes radio tout autant que des forces occultes émises par l’être humain. [1]
F. Bardon, reprend la même affirmation en allant plus loin. Il considère que la maîtrise de l’éther par un occultiste soumis à l’entraînement de facultés occultes permet de reproduire à son extrême des phénomènes physiques analogues à ce que la science peut produire avec la radio par exemple. [2] Tous les deux considèrent qu’ils sont acquérables par des entraînements et des pratiques spécifiques.
La notion d’éther existe depuis l’antiquité mais sa représentation scientifique avait commencé au 17ème siècle avec Isaac Newton pour justifier la gravité. Elle évolua pendant les siècles en multiples sous-variantes. Les scientifiques le considéraient comme un médiateur diffus dans l’espace vide où véhiculent les ondes électromagnétiques. A la fin du 19ème siècle, l’expérience de Michelson et Morley avait démontré que cette théorie n’était pas une modélisation valide de la réalité physique. Albert Einstein, le fondateur de la théorie de la relativité, avait lui-même débattu à ce sujet au sein de la communauté scientifique. Sa conclusion a été que l’existence d’un éther est possible, mais la théorie de l’éther pré-relativiste n’était pas correcte.
De nos jours, l’idée de l’espace-vide comme milieu doué de propriétés physiques (sans avoir de propriété mécanique ou d’état de mouvement) est à la base de la relativité générale et de la théorie quantique des champs. L’éther n’a donc pas entièrement été réfuté, seule sa conception pré-relativiste fut écartée.
P.-C. Jagot et F. Bardon ont donc omis l’évolution scientifique de l’éther. Leur raison est incertaine. Une ignorance, une imprécision ou un parti pris incompatible avec l’argument scientifique ? Les conséquences sont néanmoins une inconsistance théorique pour justifier l’origine des phénomènes et facultés occultes. Leur conviction d’une existence des facultés occultes semble fondée sur leur expérience personnelle. En effet, leur biographie respective en font des praticiens qui auraient expérimenté les exercices préconisés dans leurs livres. Ils auraient constaté l’efficacité du processus de développement des facultés occultes sur eux-même. Comment pouvaient-ils justifier ces phénomènes à leur lecteur sceptique contemporain ? Ils semblent s’être accommodés de l’usage d’arguments scientifiques périmés pour légitimer leur propos.
En conclusion, les croyances en l’éther pourraient se justifier dans le cadre psychologique individuel du pratiquant occultiste, elles ne devront jamais se mêler à l’exigence scientifique qui analyse sa pratique. Faire des expériences personnelles des facultés occultes n’est jamais une preuve scientifique. L’habiller d’une théorie scientifique encore moins. En prenant un plan plus général, ne serait-il pas nécessaire d’éviter cet exercice d’accoler une théorie scientifique à un phénomène occulte sans méthodologie ? Toutes tentations à interpréter des théories scientifiques pour justifier la réalité des facultés occultes sont-elles vouées à l’échec ? Il semblerait que oui.
La bonne démarche pourrait se présenter comme occultologique (interdisciplinaire autour d’un même objet, ici le phénomène occulte présumé). En première étape, la démonstration méthodique par des expériences sous contrôle pourrait indiquer la présence quantifié d’un phénomène occulte. Celui-ci devrait au préalable être précisément définie scientifiquement afin de quantifier légitimement son existence possible. Le terme occulte prendrait alors le statut d’inconnu, évacuant ainsi tous préjugés d’un sens ou d’un autre. Et même là, l’interprétation dudit phénomène devrait privilégier les théories scientifiques existantes les plus actuelles et pertinentes. L’occultologie se chargerait alors d’affiner et reproduire ses expériences afin de rendre compte des limitations éventuelles des théories scientifiques admises. A partir de là, l’analyse du phénomène inconnu pourrait s’étendre afin de désocculter l’occulte via une explication scientifique enrichie.
Les tentatives des occultistes du 20ème siècle pour expliquer les facultés occultes par l’éther ne sont donc pas valables scientifiquement. Cette croyance leur procure un contexte théorique vraisemblable pour expliquer leurs résultats prétendus occultes. Il incomberait à la méthode scientifique de s’appliquer exclusivement à la vérification des phénomènes perçus par eux comme occulte. Les explications théoriques des occultistes ne doivent pas être prises en compte, ni pour les qualifier ni pour les disqualifier. Elles ne valident ni n’invalident la possibilité d’un phénomène potentiellement inconnu par la science Les phénomènes produits par les pratiques des occultistes auraient alors le statut “d’inconnu” à la science pour entrer dans le processus de preuves expérimentales. Celles-ci seront interprétées par les théories scientifiques actuelles qui permettent leur propre évolution future lorsque de nouvelles données expérimentales l’y obligent.
[1] Traité méthodique de magnétisme personnel, p. 141
[2] Der Weg zum whahren Adepten, p. 319